Blanche Lemco est née à Londres, en Angleterre, en 1923. À l'âge de treize ans, elle déménage avec sa mère et ses frères et sœurs à Montréal, au Canada. Son père a travaillé dans l'industrie du vêtement en Angleterre, où il possédait une petite usine. Les deux parents de Blanche s'intéressaient activement aux arts. Au début, elle s'est intéressée à la scénographie en tant que profession, mais en raison des possibilités limitées de formation en théâtre à Montréal au début des années 1940, elle a choisi de s'orienter plutôt vers l'architecture, motivée par son potentiel à changer le monde.
En 1940, elle s'inscrit à l'Université McGill grâce à une bourse. Elle a été l'une des premières étudiantes à être admise à l'école d'architecture de McGill et, en 1945, elle a obtenu un baccalauréat en architecture et plusieurs prix étudiants prestigieux. Elle a poursuivi ses études à l'Université Harvard, où elle a obtenu une maîtrise en urbanisme en 1950.
Après avoir obtenu son diplôme de l'Université McGill, Blanche Lemco a travaillé en urbanisme à Windsor, au Québec (1945), et à Regina, en Saskatchewan (1946); en architecture pour William Crabtree à Londres (1947); pour Le Corbusier à Paris (1948); et pour Mayerovitch et Bernstein à Montréal (1950-1951). Lorsqu'elle travaillait dans l'atelier de Le Corbusier, l'un de ses projets a été la terrasse sur le toit de l'unité d'habitation (Cité radieuse) à Marseille, en France, en particulier les deux cheminées de ventilation en béton emblématiques et la crèche. Elle se souvient de cette expérience avec humour et clarté près de soixante-dix ans plus tard :
« J'ai conçu la forme des ventilateurs (qui figuraient sur les premiers croquis comme une seule colonne), en proposant un plan en trèfle parce que les ingénieurs m'ont dit qu'il y avait trois ventilateurs d'évacuation. Quand j'ai montré cela à Le Corbusier, en lui expliquant ma proposition, il m'a dit : “Vous, les jeunes, vous êtes tellement puristes”. Je me suis abstenue de dire : “Où pensez-vous que nous avons appris cela?” Cependant, dans mon dessin initial je proposais que les ventilateurs soient légèrement évasés, ce qui aurait mieux illustré la fonction d'expiration. »
La conception du toit, sur le modèle d'une place publique, met à profit la formation en design urbain qu'a reçue van Ginkel : « J'ai conçu l'aire de jeu pour les enfants et le haut parapet autour de la piste de course et du bord du toit. L'idée était que le toit était comme la place d'une petite ville, avec ses installations habituelles, et que l'on voyait les Alpes Maritimes au loin comme on le ferait par-dessus les toits des maisons. C'est pourquoi le parapet est relativement haut ». Au bureau de Le Corbusier, elle a rencontré plusieurs architectes et urbanistes influents, dont Georges Candilis, Shadrach Woods, Jerzy Soltan et André Wogenscky, une expérience qui lui a permis de participer plus tard aux Congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM).
En 1951, Blanche Lemco s'installe à Philadelphie, où elle pratique l'architecture et enseigne à l'Université de Pennsylvanie. C’est là, avec ses collègues Siasia Nowicki et Robert Geddes, qu’elle a créé le Philadelphia CIAM Group for Architectural Investigation (GAI). Lemco van Ginkel a représenté le groupe au CIAM 9 d'Aix-en-Provence en 1953 et au CIAM 10 de Dubrovnik en 1956.
De 1951 à 1957, Lemco van Ginkel a enseigné à l'Université de Pennsylvanie, où elle, Nowicki et Geddes ont été les premiers enseignants à temps plein nommés par G. Holmes Perkins, doyen de la School of Fine Arts.
Elle a enseigné à la Graduate School of Design de l’Université Harvard en 1958, 1971 et 1975 avec Josep Lluis Sert, le doyen de la GSD de 1953 à 1969. À Montréal, elle a élaboré les premiers cours de design urbain à l'Université de Montréal (1961-1967 et 1969-1970) et à l'Université McGill (1971-1977). Van Ginkel s'est jointe au corps professoral de l’Université de Toronto en 1977 après un épisode tumultueux de son histoire, devenant doyenne de l’École d’architecture (et en 1980, doyenne de la Faculté d’architecture et d’architecture de paysage), où elle a continué à enseigner jusqu'en 1993. Pendant quatre décennies, elle a été active au sein d'établissements d'enseignement en architecture partout en Amérique du Nord, siégeant aux comités d'agrément et au conseil d'administration de l'Association of Collegiate Schools of Architecture (ACSA), dont elle a été présidente en 1986-1987.
La carrière de Lemco van Ginkel est étroitement liée à celle de son mari, Sandy (H.P.D.) van Ginkel, qu'elle a rencontré en 1953 au CIAM 9 à Aix-en-Provence, où ils ont tous deux participé aux premières discussions qui allaient conduire à la formation de l'équipe du CIAM 10. Ils se marient en 1956, et en 1957, ils forment un partenariat professionnel, van Ginkel Associates, ouvrant un bureau au 4270, avenue Western (aujourd'hui boulevard de Maisonneuve) à Montréal. Le cabinet a eu pignon sur rue à Winnipeg de 1966 à 1968, avant de revenir à Montréal, puis à Toronto en 1977.
Son style d'architecture et d'urbanisme se caractérise par une profonde vocation sociale et un désir de créer des environnements modernes et conviviaux, en mettant l'accent sur les valeurs culturelles et collectives. Comme elle l'a déclaré, « l'architecture est une quête culturelle et ceux qui la pratiquent, ou sont autorisés à la pratiquer, reflètent notre culture, nos mœurs, nos attitudes, au Canada comme ailleurs ». Attirée par l'urbanisme et ses idées nouvelles, Lemco van Ginkel a imaginé que ce secteur pourrait être plus ouvert aux femmes. Ses collaborations avec Sandy van Ginkel sur des projets d'architecture et d'urbanisme témoignent d'un intérêt et d'une expertise précoces en matière de planification de la circulation urbaine.
On attribue aux van Ginkel le mérite d'avoir sauvé le Vieux-Montréal, qui est devenu l'un des quartiers patrimoniaux les plus populaires d'Amérique du Nord, en aménageant une voie rapide urbaine sous le quartier plutôt que de suivre le plan original qui consistait à la construire au niveau du sol et à démolir les bâtiments historiques. Le succès de ce projet a conduit à la naissance de la profession d'urbaniste au Canada, période où Blanche van Ginkel a collaboré à la rédaction de la législation de la première Commission provinciale d'urbanisme du Québec de 1963 à 1967. Parmi les autres projets majeurs du cabinet figurent la conception du parc Bowring à St. John's, Terre-Neuve (1958-1965), qu'ils ont présenté à la dernière conférence du CIAM à Otterlo, en Hollande, en 1959; la vision et le plan préliminaire en 1962 pour l'Expo 67 de Montréal; la protection du mont Royal de Montréal, en préservant une plus grande partie de celui-ci du développement immobilier; et une étude de la circulation urbaine dans le Midtown de Manhattan en 1970-72. L'attention accordée par les van Ginkel à la circulation des piétons et les transports publics est précurseur du mouvement environnemental d'au moins une décennie. Le projet commandé par la Ville de New York a donné lui à un résultat particulièrement intéressant, le Ginkelvan, un minibus hybride électrique conçu pour réduire la congestion au cœur de la plus grande ville des États-Unis. Acheté par la suite par la ville de Vail, dans le Colorado, le minibus arborait une couleur orange vif faisant référence aux couleurs vives du modernisme, ainsi qu'aux sensibilités pop de l'époque.
Le cinéma et la réalisation de films ont été particulièrement importants dans la carrière de Lemco van Ginkel : elle a fréquemment fait appel au cinéma et aux expositions pour communiquer les résultats de ses recherches et ses idées de conception. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle a travaillé à l'Office national du film du Canada; et alors qu'elle vivait à Philadelphie dans les années 1950, elle a écrit le film It Can Be Done commandé par le Département d'État américain. En 1956, elle le présente au congrès de la Fédération internationale pour l’habitation, l’urbanisme et l’aménagement des territoires à Vienne, où il remporte le Grand Prix du cinéma. En 1960, elle est consultante auprès de l'Office national du film et apparaît dans le film Suburban Living. Dans les années 1960, elle participe à l'organisation du Festival international du film de Montréal et de la Winnipeg Film Society.
Avec son petit gabarit et ses manières britanniques polies, Lemco van Ginkel est un monument parmi les urbanistes modernistes des années 1960. Elle a réalisé de nombreuses premières - ou quasi premières - en tant que femme dans la profession d'architecte : elle a été la première femme à occuper le poste de doyenne d'une école d'architecture en Amérique du Nord, la première femme à être intronisée fellow de l'IRAC, la première Canadienne et la première femme à être élue présidente de l'Association of Collegiate Schools of Architecture (ACSA), la première femme à enseigner à l'Université de Pennsylvanie - avec Siasia Nowick, la première femme élue au conseil de l'Institut d'urbanisme du Canada, et la première femme architecte élue membre de l'Académie royale des arts du Canada.
Elle a également contribué à faire connaître l'histoire des femmes architectes canadiennes par la publication d’articles et en donnant des conférences sur le sujet. Elle a parlé ouvertement de ses propres expériences, comme lorsqu'elle a attribué la rareté des étudiantes au Canada dans les années 1940 « au climat social du Québec, où [sa] mère ne pouvait pas signer de contrat et où les femmes ont été privées de leurs droits jusqu'en 1940 ».
En 1986, elle a été co-commissaire de l'importante exposition For the Record : Ontario Women Graduates in Architecture, 1920-1960, à la Faculté d'architecture et d'architecture du paysage de l'Université de Toronto; les documents de cette exposition ont été donnés à l'International Archive of Women in Architecture de Virginia Tech (créé en 1985).
Blanche Lemco van Ginkel a un esprit vif et une intelligence fine et elle est également prompte à souligner que les réalisations des femmes en tant qu'architectes sont plus importantes que leur sexe; comme elle l'a dit en 1991, « les chiffres ne sont pas tout, et la distinction dans la profession est plus importante ».
RÉALISATIONS DES MÉDAILLÉS D'OR >>
(en anglais seulement)
« C'est un grand honneur pour le jury de décerner la Médaille d'or 2020 à Blanche Lemco van Ginkel. Comme chef de file canadienne et défenseure de la cause, Blanche a eu une profonde influence sur la pensée, l'enseignement et la pratique de l'architecture. Elle est une inspiration pour des générations d'architectes et a constamment fait évoluer le discours sur l'architecture et la planification par le biais de publications et de la pratique. Ses études de planification fondamentales ont touché toutes les régions de notre pays, du plan du parc Bowring à St. John's, Terre-Neuve, qui a remporté un prix Massey pour l'architecture, jusqu'à la compréhension des incidences communautaires et régionales de l'industrie à Ezehazy, en Saskatchewan, en passant par l'exploration des répercussions sociales inhérentes au développement du Nord. Son travail dans le domaine des transports s'étend du développement de l'un des premiers véhicules électroniques, au transport aéroportuaire et aux études primées sur les transports en commun.
Blanche est un lien vivant avec les racines modernistes canadiennes, apportant au Canada son expérience de travail avec Le Corbusier. Tout au long de sa carrière, elle a tissé des idéaux sociaux modernistes à travers le tissu de notre société en tant que grande éducatrice, communicatrice et architecte. Blanche incarne un profond engagement envers la rigueur intellectuelle et le dialogue interdisciplinaire, et continue d'être un modèle pour la communauté des architectes canadiens. »
Membres du jury
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