Li Xiaodong est un architecte de Beijing, un professeur d’université et un chercheur. En 2014, il a remporté le Prix international Moriyama IRAC, alors décerné pour une première fois, pour la bibliothèque Liyuan, située dans un village en périphérie de Beijing. Li Xiaodong est né à Beijing, en 1963. Il a obtenu un diplôme de l’École d’architecture de l’Université Tsinghua, en 1984, et un doctorat aux Pays-Bas, en 1993. Il a créé l’atelier Li Xiaodong en 1997 et il réalise surtout des petits projets qu’il entreprend souvent par lui-même. Il propose une « architecture chinoise » qui intègre les modes d’expression traditionnels et contemporains. L’automne dernier, il a prononcé des conférences publiques à Toronto et à Montréal dans le cadre de la série de conférences Illumination du Prix international Moriyama IRAC. Lors de son passage à Montréal, il s’est entretenu avec Maria Cook.
Comment la bibliothèque de Liyuan a-t-elle transformé le village de Jiaojiehe?
Jiaojiehe était un village très isolé. La bibliothèque a soudainement créé des possibilités pour ses résidents. Elle a également ouvert les horizons des citadins qui peuvent observer un contexte de vie très différent du leur et constater que les gens peuvent vivre en harmonie avec la nature.
Le village accueille maintenant de 200 à 300 visiteurs chaque fin de semaine. Je veux aider le village à en tirer un certain revenu. Nous allons donc construire un centre d’accueil et offrir divers programmes : un musée, un café et un centre de services. Nous voulons aussi aider les gens à rénover leurs maisons pour en faire des gîtes touristiques afin que les visiteurs puissent passer une nuit dans le village pour mieux profiter du paysage et de la bibliothèque.
Le Prix international Moriyama IRAC récompense une œuvre d’architecture appréciée pour son caractère transformateur dans son contexte sociétal et son expression des valeurs de justice, de respect, d’égalité et d’inclusion. Comment le prix encourage-t-il les architectes à emprunter cette voie?
Le Prix Moriyama est l’un des rares prix internationaux d’importance qui envoient les membres du jury visiter les bâtiments finalistes. C’est ce qui lui confère une si grande valeur. De nos jours, nous communiquons par courriel, par Facebook et par Twitter – en 140 caractères pour transmettre nos idées. Les idées sont pourtant plus profondes que cela. Pour surmonter ce problème, nous devons éviter le tape-à-l’œil et approfondir notre réflexion. C’est exactement ce à quoi nous encourage le Prix Moriyama.
Que pensez-vous de l’urbanisation massive et des programmes de construction en cours en Chine?
En 1979, lorsque la Chine a rouvert ses portes au monde extérieur, les autres pays étaient déjà entrés dans une étape de développement postmoderniste. L’étape de l’industrialisation y était révolue. La modernisation avait eu lieu. La Chine était quant à elle comme un monde en noir et blanc subitement exposé à la couleur. Elle n’avait pas connu l’ère de l’industrialisation ni celle de la modernisation. Il y avait donc du rattrapage à faire si nous voulions faire partie de la famille mondiale.
Au cours des 30 dernières années, l’urbanisation a été très rapide. Nous n’avions pas le temps de réfléchir au modèle que nous devions adopter. Je pense que le temps est maintenant venu pour nous de réfléchir à nos erreurs. Nous devons modifier nos modes d’urbanisation pour les 20 prochaines années, parce que nous sommes en train de planifier l’arrivée de 400 millions de personnes additionnelles qui quitteront la campagne pour s’établir dans les villes.
Que pensez-vous de l’architecture internationale et importée par rapport à l’architecture locale?
L’architecture moderne est une invention du monde occidental. Au cours des 100 dernières années, les architectes occidentaux ont développé un langage moderne de l’architecture par l’évolution de leur pratique. La Chine est arrivée relativement tard dans le mouvement. Dans les 30 dernières années, nous avons appris, copié et essayé bien fort de capter le sens fondamental de l’architecture moderne.
De nombreux architectes de l’étranger sont venus s’installer en Chine pour exercer leur profession et collaborer avec des architectes locaux. Ils ont ainsi aidé les architectes chinois à apprendre et à développer leur maturité en architecture moderne.
Mais qu’en est-il de nous? Qu’en est-il des architectes chinois en tant que groupe de personnes ayant une longue histoire? Qu’en est-il de notre culture? De nos traditions? De nos différences régionales? La diversité culturelle est tout aussi importante que la biodiversité. Nous ne pouvons pas bâtir tout notre monde de la même façon. Nous vivons dans un monde différent. Nous avons une culture différente et nous devons tenir compte de conditions différentes. Il est très important que notre architecture reflète tout cela.
C’est ce que j’essaie de faire maintenant : j’essaie de définir une architecture chinoise contemporaine plus authentique plutôt que d’importer en Chine des idées de l'Occident.
Pouvez-vous décrire votre pratique?
La plupart du temps, je travaille seul. Quelques étudiants se joignent à moi à l’occasion. Je m’occupe moi-même du financement des projets. Je cherche des terrains. C’est difficile. Il n’y a pas d’honoraires de conception. Je dois parfois contribuer personnellement au financement.
Prenez l’exemple de l’école Bridge dans la province du Fujian. Une de mes amies a fourni les fonds. Elle est propriétaire d’une galerie d’art à Singapour. Mais ce montant n’était pas suffisant pour construire un bâtiment. J’ai parlé au maire du village. Je lui ai promis que s’il me donnait l’argent qui manquait je remporterais un prix international majeur. Il a fourni les fonds et nous avons remporté le Prix Aga Khan d’architecture.
J’ai eu beaucoup de plaisir dans toute cette démarche. L’argent ne me rend pas heureux, mais la bonne architecture me comble de bonheur.
Vous avez fait des études de doctorat dans les Pays-Bas. Comment avez-vous trouvé l’expérience?
C’est un autre monde. Tout est comme un modèle, toujours comme une mise en scène. J’y suis resté quatre ans avant de retourner en Chine pour la première fois. Ce fut un choc! Comme si j’arrivais dans une grosse jungle de désastre, de pollution, une masse de bâtiments. C’est tellement chaotique. Le contraste est incroyable.
Après avoir obtenu mon doctorat, j’ai travaillé deux ans aux Pays-Bas. J’étais vraiment perdu. Je ne savais pas ce qu’était mon architecture. Lorsque vous concevez un bâtiment que vous ne comprenez pas dans son sens profond, il est difficile d’avoir des assises. Ce n’est pas seulement le jeu des formes abstraites; il faut se baser sur quelque chose. Ces deux années ont été vraiment troublantes pour moi. J’ai décidé de revenir à Singapour comme enseignant universitaire et chercheur en architecture.
Aviez-vous envisagé de ne pas revenir en Chine?
Non. Dès le jour où j’ai quitté la Chine, j’ai su que j’y reviendrais. J’aime la culture chinoise. Je l’ai dans mon sang, dans mes gènes.
J’ai vécu dans les monts Jaunes pendant deux ans après mes études à l’Université Tsinghua. Ces deux années ont été déterminantes pour moi et elles le seront pour le reste de ma vie.
Je supervisais la construction d’un hôtel et la plupart du temps j’étais seul.
J’ai beaucoup lu sur la culture de la Chine pour comprendre le paysage. Ces lectures m’ont aidé à mieux me connaître et à mieux comprendre les liens qui m’unissent à ce pays.